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Les femmes et les hommes engagés dans l’Eglise sont-ils plus enclins à prêter leurs services gratuitement que les personnes qui s’en tiennent éloignées?

Entretien avec Theo Wehner, professeur émérite de psychologie du travail et de l’organisation à l’EPF Zurich.

Monsieur le Professeur, voilà de nombreuses années qu’en tant que psychologue du travail vous menez des recherches sur l’engagement bénévole dans notre société. Comment en êtes-vous venu à vouer une telle attention à ce sujet?

Dans une spécialité comme la nôtre, il va de soi que la liberté de la science passe avant toute autre considération. Aussi, je m’interdirais de mettre en avant une motivation particulière. Je relèverai simplement qu’en général ce sont les activités rémunérées qu’étudient les chercheurs scrutant le monde du travail, qu’il s’agisse des psychologues ou pédagogues du travail, des sociologues de l’industrie ou des chercheurs dans le domaine du travail axé sur l’ingénierie du travail. Ce type d’engagement, payé d’une manière ou d’une autre, se distingue dès lors qualitativement du travail volontaire non rémunéré ainsi que des activités miliciennes réputées être très faiblement indemnisées. Tout ce que l’on sait en matière de motivations, de visions et de critères propices à un travail rémunéré de qualité ne peut pas être appliqué tel quel au bénévolat. C’était du moins notre thèse de départ, et nous avons pu la confirmer. Ainsi, il convient de soumettre à une analyse à part les motivations des bénévoles pour évaluer la qualité du travail accompli à titre gratuit et l’organiser valablement ainsi que pour recruter des volontaires et leur assurer un encadrement et un soutien efficaces.

Dans les débats sur le poids que revêtent les Eglises au sein de la société et sur l’appui que leur accorde l’Etat, ces institutions mettent souvent en avant la place importante qu’y occupe le bénévolat. Les femmes et les hommes engagés dans l’Eglise sont-ils plus enclins à prêter leurs services gratuitement que les personnes qui s’en tiennent éloignées?

Le bénévolat est au premier chef l’expression de valeurs personnelles. Cela vaut pour tout un chacun, et non pas seulement pour les personnes animées par des convictions religieuses ou engagées dans des institutions ecclésiales. Aussi, dans les motifs incitant à l’engagement bénévole, la foi ne joue pas un rôle déterminant: le plaisir que procure l’activité, le fait d’agir ensemble ou encore l’envie de se rendre utile occupent la première place, et ce partout dans le monde. Certes, dans les résultats de la plupart des enquêtes menées sur les domaines où l’activité bénévole est la plus développée, les communautés religieuses et institutions ecclésiales se classent avant la culture et les loisirs, mais toujours après le sport (associatif) et l’entraînement physique, tout en accusant, il est vrai, un léger recul, à l’instar de la plupart des champs de l’action bénévole. Mais je soulignerai aussi que l’univers ecclésial, comparativement à d’autres domaines, se caractérise par une dimension intergénérationnelle marquée. Jeunes et vieux y cultivent des liens de proximité particulièrement harmonieux.

Il y a quelques années, vous avez passé sous la loupe l’engagement milicien des administrateurs paroissiaux réformés dans le canton de Zurich. Quels ont été les résultats les plus intéressants enregistrés?

Dans la mesure où, chez nous, on consacre plus d’études au passage des oiseaux migrateurs au-dessus des cols alpins qu’au système helvétique de milice, tous les résultats ou presque sont passionnants. Ils révèlent que les personnes qui assument volontairement des tâches administratives dans les paroisses sont très satisfaites de leur activité. Elles la vivent par contraste avec leur vie professionnelle et jugent leur rémunération «adéquate», et ce, de façon plus sensible encore que les membres de commissions scolaires et autres volontaires engagés au sein des communes. A l’instar de ce que l’on observe dans le bénévolat classique, les administrateurs paroissiaux ne recherchent ni une diversification de leur activité professionnelle ni l’acquisition de nouvelles compétences. De même, l’obtention d’un salaire d’appoint figure au dernier rang de leurs motivations. Ce à quoi ils aspirent, c’est de pouvoir influer le cours des choses, agir et se rendre utile.

Si vous deviez proposer aux responsables trois mesures concrètes pour promouvoir l’engagement milicien au sein des Eglises, quelles seraient-elles?

Il est certes passionnant de se pencher sur ce qui semble dresser des obstacles au bénévolat et, plus particulièrement, à l’engagement milicien et de sonder les moyens appropriés de contourner ces difficultés. Pour la société civile et les individus, les pierres d’achoppement résident dans

  • un dénigrement des connaissances des «laïcs» et une surestimation du savoir des professionnels,
  • un managérisme et une bureaucratisation croissants dans les domaines où il est fait appel au bénévolat et
  • une absence de créativité s’agissant des formes de reconnaissance et de participation garanties aux bénévoles potentiels. En matière de volontariat, le réservoir de celles et ceux qui sont susceptibles de s’engager n’est de loin pas épuisé!

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